La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires a remis son rapport annuel au Premier ministre le 7 avril 2010.L’occasion pour le CDSE d’interroger Henri-Pierre DEBORD, Conseiller « Economie-Industrie-Emploi-Budget », sur l’état de la menace des risques sectaires dans la sphère économique.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la MIVILUDES et ses missions ?
La Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) a été instituée auprès du Premier ministre par le décret présidentiel du 28 novembre 2002. Elle s’est vue confier une série de missions.
Elle est tout d’abord chargée d’observer le phénomène des mouvements à caractère sectaire susceptibles de produire des dérives qui peuvent s’exprimer soit par des troubles à l’ordre public, soit par le non-respect des lois et règlements, soit par des atteintes aux libertés fondamentales à la fois pour ce qui concerne les personnes et les groupes humains telles les entreprises. Sa deuxième mission est de coordonner les services de l’Etat en ce qui concerne cet enjeu que constituent la lutte et l’observation. Sa troisième mission est d’informer le public sur ces phénomènes. Sa quatrième mission vise à former les agents de la fonction publique au sens large (La MIVILUDES forme par exemple les personnels hospitaliers sur les questions sectaires). Enfin, sa dernière mission est de représenter la France à l’étranger en relation avec le Ministère des Affaires Étrangères et Européennes. En effet, le phénomène sectaire n’a pas de frontière : de grands groupes à caractère sectaire ont une base à l’étranger et ont des implantations dans différents pays et notamment en Europe. Le rôle de la MIVILUDE est de défendre la politique française en la matière, une politique bien souvent non connue, incomprise, attaquée et parfois décriée.
Les entreprises ont-elles pris la mesure du risque sectaire ?
Les risques, dans leur ensemble, sont mesurés et évalués par les entreprises. Cependant, les risques sectaires sont bien souvent absents des typologies des risques listés par les acteurs chargés de la sécurité de l’entreprise. En 2007, nous avons interrogé un panel d’acteurs de la vie économique dans le but de réaliser un guide : « L’entreprise face aux risques sectaires » ( pour consulter le guide cliquez ici ). Plus précisément, nous avons demandé aux chefs d’entreprises, et aux personnes en charge de la sécurité et de la sûreté dans les entreprises, comment ils appréhendaient les risques sectaires : entre 80 % et 90 % des répondants nous ont déclaré totalement ignorer cette problématique. Parmi les 10 % sensibilisés au sujet, leurs connaissances étaient issues de la grande presse et des médias, soit une approche de ce risque telle celle d’un citoyen lambda. Il nous a dès lors semblé absolument nécessaire d’apporter une attention particulière à la sensibilisation des milieux économiques.
Parmi les 10 % d’entreprises sensibilisées à ce risque, certaines ont-elles aussi acquis ce savoir en se trouvant confrontées à la menace sectaire ?
Les entreprises en général ne diront pas facilement si elles ont été impactées par les risques et c’est d’autant plus vrai en ce qui concerne le risque sectaire. Il y a un tabou qui entoure cette problématique. Il s’agit de risques de dérives de type comportemental au regard du droit comme au regard des mœurs. Nous avons donc très peu de retours d’expérience de la part des entreprises. Ces acteurs de la vie économique restent pour la plupart dans une confidentialité que je qualifierais d’extrême. Cependant, au regard des réponses apportées aux questionnaires, il est perceptible que dans certains cas la prise de conscience est liée à l’expérience.
Les entreprises sont-elles aujourd’hui plus qu’hier une cible pour les mouvements sectaires ?
Parmi la masse des mouvances et des formes d’expression du phénomène sectaire (on en dénombre environ 500 à 600 en France), toutes ne sont pas intéressées par l’entreprise. Ceux qui le sont, sont des organismes qui ont fait le choix stratégique de développer leur puissance économique et financière à partir de la mise sur le marché de prestations de services ou qui ont un objectif d’influence des lieux de pouvoirs et notamment dans l’entreprise. L’entreprise doit donc être en mesure de détecter ce risque, sa portée et une éventuelle prise en charge de celui-ci. Les organismes sectaires qui fondaient leur enrichissement ou leur développement économique et financier sur les seuls dons de leurs membres sont plus minoritaires qu’il y a 20 ans. La recherche de ressources pour les organismes se fait aujourd’hui en direction de ceux qui achètent des prestations, des services et des produits. Au premier rang, on retrouve les entreprises qui se voient proposer par exemple des stages de formation, des audits, du conseil ou encore des chantiers de réorganisation ou de rénovation d’un système interne d’information…
A-t-on une liste de ces mouvements ?
La politique française en la matière, nous conduit à ne pas élaborer de liste de ces mouvements. En effet, celle-ci n’aurait qu’une signification momentanée, parcellaire, et qui en outre n’aurait aucune portée juridique. Une circulaire du Premier Ministre de 2005 rappelle de façon opportune cette perception du sujet. Certes, les mouvements à caractère sectaires prétendent que nous serions instigateurs de listes. Mais ils font erreur à la fois sur la personne de la MIVILUDES et sur les intentions de la politique que nous représentons.
Cependant lorsque nous sommes interrogés par une entreprise ou un acteur de la vie économique sur une pratique ou un organisme, nous ouvrons une analyse et un dossier. Nous sommes en droit de conserver ces documents de travail à partir du moment ou dans l’étude de ce cas nous avons repéré un risque de dérives sectaires avéré. Nous n’avons pas de liste, mais une mémoire des cas et des expériences qui ont pu nous être soumis pour avis.
La MIVILUDES est là pour éclairer et alerter le public et donc les entreprises. Notre mission est de répondre aux interrogations des entreprises. La Mission est à leur disposition. Certains secteurs de la vie économique, ils ne sont probablement pas encore assez nombreux, nous consultent régulièrement tels le secteur pharmaceutique, le secteur bancaire et le secteur des industries sensibles et notamment stratégiques.
Comment l’entreprise peut-elle se protéger face à ce risque sectaire ?
Pour appréhender le risque lié à la passation d’un contrat, il s’agit de réagir en amont, pendant la mise en œuvre de la prestation et en aval. En amont, la prévention tient beaucoup au renforcement du cahier des charges. Les risques sectaires auxquels peuvent être confrontés les salariés doivent être analysés au préalable. La deuxième étape est l’observation pendant le déroulement de la prestation. Enfin, il y a l’étape du débriefing. Il est nécessaire de faire une évaluation à chaud puis à froid des effets de la prestation qu’ils soient positifs ou négatifs sur les comportements et les procédures internes de l’entreprise qui ont pu être modifiés.
Le guide de l’entreprise face aux risques sectaire compile les moyens de détections et de protections du risque sectaire pour les acteurs de la vie économique. Il détaille notamment dans une dernière partie l’arsenal juridique exploitable par l’entreprise. La MIVILUDES est bien sûr disponible pour compléter les informations contenues dans ce guide.