Le groupe ACCOR compte près de 4100 hôtels et plus de 145 000 employés. Le groupe est présent dans une centaine de pays sur les cinq continents. Concrètement, c’est plus de 60% du chiffre d’affaires du groupe qui est réalisé hors de France. Cette présence à l’international expose l’entreprise à un certain nombre de menaces. Dans cet entretien, René-Georges QUERRY, Directeur Sécurité du groupe, nous éclaire sur l’organisation et les préoccupations de son entreprise en matière de sécurité internationale.
Quelles sont, selon vous, les principales menaces auxquelles vous devez faire face à l’international en cette fin d’année 2010 et pour l’année 2011 ?
Tout d’abord, le groupe Accor n’est pas l’entreprise la plus exposée à l’international. Contrairement à d’autres groupes, nos activités ne nécessitent pas l’envoi de nombreux ingénieurs, comme d’autres entreprises, dans des coins reculés et dangereux. Nous travaillons en milieu urbain et nous avons très peu d’expatriés.
Cependant, la menace numéro un pour nous, c’est le terrorisme. Nous sommes vigilants sur cette question 24 heures sur 24. Les terroristes ne s’attaquent pas ou plus aux symboles de l’État en raison de leur hyper sécurisation. Les hôtels deviennent une cible privilégiée. Ce n’est pas une vue de l’esprit.
Cette menace terroriste est-elle plus forte aujourd’hui ?
Il est évident que ces deux derniers mois, dans la zone du Sahel élargie au Niger, Mali, Maroc, Mauritanie et Sénégal, la menace s’est amplifiée.
Quelles autres menaces attirent aussi votre attention ?
La menace numéro deux, pour nous, ce sont les troubles sociopolitiques et économiques qui peuvent à tout moment dégénérer en affrontement de masse bien souvent armé. Ce genre d’événement peut avoir des répercussions collatérales sur la sécurité de nos bâtiments et de nos collaborateurs. Une émeute peut en effet prendre pour cible les symboles de la richesse, un hôtel en fait partie. Nous sommes par exemple très vigilants lorsque des élections sont organisées dans certains états africains ou lors d’émeutes de la faim comme celles qui eurent lieu au Cameroun, il y a déjà quelques années. Aujourd’hui, c’est la Côte d’Ivoire qui retient toute notre attention avec ses élections présidentielles.
La criminalité est-elle une de vos préoccupations ?
Oui, mais c’est une menace que je ne place qu’en troisième position. La criminalité, hors de France, dans des pays dits à risques, s’exprime surtout à l’extérieur des hôtels. C’est-à-dire dans un périmètre qui peut être de 150 m à 200 m de l’hôtel. Ce sont bien souvent des vols ou des agressions qui sont commis contre nos clients. Notre responsabilité en la matière ne s’étend cependant pas à l’ensemble des rues d’une ville : nos efforts sont concentrés sur la sécurisation de nos hôtels et de leurs alentours et ils sont bien protégés.
En matière de criminalité, un pays qui requiert toute notre attention est le Brésil. Dans ce pays par exemple, nous avons relevé, à une époque, bon nombre de vols avec violence. Le mode opératoire est le suivant : un homme en moto suit la voiture d’un voyageur d’affaires qui se rend à son hôtel. À son arrivée, une fois sorti du véhicule, le voyageur d’affaires est victime d’un vol à l’arraché commis par ses poursuivants. Sur cette question, les services de police brésiliens ont d’ailleurs lancé une alerte rappelant que la filature pouvait commencer dès l’aéroport. Nous avons pris dès lors, pour nos hôtels des dispositions particulières. À l’extérieur de nos bâtiments, outre la présence d’agents de sécurité, nous avons installé un système de chicane empêchant ces opérations éclair.
Comment est organisée la sécurité au quotidien de votre groupe à l’international ?
Nous effectuons un travail dit de « prévention » avec Xavier Graff (Directeur de la gestion des Risques / Groupe Accor) et l’ensemble de notre équipe. Nous mettons en place des dispositifs destinés à empêcher la survenance d’incidents dans ou à proximité de nos hôtels. Nous faisons un grand travail de sensibilisation, d’audit et d’analyse des risques. Notre objectif est d’adapter notre sécurité à la menace et de faire du « sur mesure ».
Nous avons remarqué que les gens sur place s’accoutument à la menace et finissent par ne plus y faire attention. C’est une forme de « mithridatisation ». Nous, en revanche, depuis Paris, nous avons tendance à exagérer cette menace. Il faut trouver le juste équilibre entre cet effet loupe et l’habituation des personnels dans nos hôtels. Aussi nous nous rendons régulièrement sur place afin de positionner ensemble le curseur au niveau adéquat.
Nous les formons également à la gestion de crise et nous les incitons à nous tenir informés dès qu’ils ont le sentiment que la situation peut devenir périlleuse. De notre côté, nous leur transmettons toutes les informations dont nous disposons sur l’évolution des risques. Afin d’avoir une idée assez claire des différentes menaces, nous sommes en contact permanent avec les services de l’État, les ambassades, mais aussi avec les autres directeurs sécurité et sûreté. Sur place nous encourageons nos directeurs d’hôtel à entretenir des liens très étroits avec l’ensemble des représentants des autorités locales et des représentants des ambassades.
Nous avons également un dispositif de gestion de crise (coordonné par Xavier Graff). En fonction de la situation et de sa gravité, nous avons mis en place des solutions adaptées et rapides dans leur mise en œuvre. Par exemple, si la crise est de très grande envergure, telle une catastrophe naturelle, nous sommes en mesure, en fonction des besoins de la région, d’envoyer sur place les moyens matériels et humains nécessaires pour assister les victimes.
Faites-vous une distinction entre la sécurité de vos salariés locaux, vos expatriés, vos voyageurs d’affaires et vos clients ?
Notre concept global est que tout ce qui est dans l’hôtel relève de notre responsabilité. Certains de nos hôtels, dans des zones dites « à risques », sont même des points de ralliement désignés par l’ambassade de France. Cependant, en cas d’évacuation, ce sont les États français et européens qui sont les acteurs principaux : concernant nos collaborateurs nationaux, il ne nous appartient pas de décider de leur évacuation ou non. Notre rôle n’est pas d’intervenir dans le volet diplomatique et dans des conflits ethniques et ou politiques.
Sur le volet de la sécurité de l’information, on parle parfois du risque de présence de micros dans les chambres d’hôtel, installés à des fins d’espionnage. Ce risque est-il selon vous un fantasme ou une réalité ?
L’idée qu’il puisse y avoir des micros dans les chambres d’hôtel ne relève pas du fantasme. On imagine assez aisément que tous les services secrets du monde sont capables d’installer des micros afin de surveiller un individu. Cela se fait-il avec la complicité de l’hôtelier ? Je ne le pense pas. Nous ne somme pas des auxiliaires de police… Ce qui est certain, c’est que c’est un jeu extrêmement dangereux et je recommande à l’ensemble des directeurs d’hôtel de ne pas s’y livrer.
Il n’est pas dans l’intérêt d’un service secret de se rapprocher d’un directeur d’hôtel afin d’installer des micros dans une chambre. D’une part, ces services secrets disposent, aujourd’hui, de moyens techniques permettant de poser des micros à l’insu de tout le monde. D’autre part, le secret est mieux gardé quand il n’est pas partagé avec des gens qui n’appartiennent pas aux services secrets.
Il m’est évidemment impossible de garantir l’absence de micro dans les chambres. Pour s’en protéger il faudrait inspecter chaque chambre avec un matériel de détection de micros. Cela coûterait très cher et nécessiterait une grande perte de temps.
D’une façon générale, une pause de micro reste d’un coût très élevé pour un résultat très aléatoire. De plus, la chambre du client d’un hôtel n’est connue qu’a son arrivée ce qui rend toujours très problématique une installation technique avant son arrivée. Je ne conteste pas qu’il puisse y avoir des opérations de ce type dans l’hôtellerie, mais cela reste exceptionnel et doit se faire à l’insu des hôteliers.