Arrêt de la Cour de Cassation, 7 décembre 2011 n°2575, Société Sanofi Pasteur c/ Peyret

Écrit par admin1973

2 février 2012

Pour les directeurs sécurité avertis, la solution retenue dans l’arrêt du 7 décembre 2011 n’aura rien de surprenant. En confirmant la condamnation de la société Sanofi Pasteur dans le cas de l’agression d’une salariée expatriée survenue hors du temps de travail et sans lien direct avec l’exécution du contrat de travail, la Cour de cassation ne fait que consacrer une tendance développée notamment par les juges du fond qui consiste à imposer à l’employeur une obligation de sécurité particulièrement large.

Dans cet arrêt, une salariée expatriée en Côte d’Ivoire avait été agressée en 2004 en dehors de son temps de travail alors qu’elle attendait dans une voiture qu’elle conduisait, son conjoint parti retirer de l’argent dans une agence bancaire. La Cour d’appel de Lyon* avait, tout comme le Conseil de Prud’hommes de Lyon** saisi en première instance, condamné l’employeur en se fondant sur le non-respect par celui-ci, des obligations contractuelles découlant du contrat de travail parmi lesquelles, la fameuse obligation de sécurité.

Alors qu’un employé expatrié ne peut se prévaloir de la législation française sur les accidents du travail ou maladies professionnelles*** , la Cour de cassation admet ici qu’il puisse engager la responsabilité de son employeur sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle. Conséquemment, un salarié pourra invoquer un manquement de l’employeur à certaines de ses obligations parmi lesquelles l’obligation de sécurité mentionnée à l’article L4121-1 du Code du travail (« l’employeur doit prendre les mesures nécessaires à assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs »).

Excluant la recherche d’un lien de causalité entre l’agression et l’exécution du contrat de travail, la Cour d’appel a retenu que la salariée a été victime d’une agression alors qu’elle se trouvait, « du fait de son contrat de travail », dans un lieu particulièrement exposé au risque : le simple fait d’envoyer ses salariés à l’étranger suffit à engager la responsabilité de l’employeur dès lors qu’un employé se trouve dans un « lieu particulièrement exposé au risque », peu importe qu’il y soit allé de son plein gré ou sur instructions de l’employeur. En effet, bien que la formule retenue reste à définir, les juges ont pris soin de ne pas faire mention à un espace délimité (ville ou pays) mais bien à un lieu dont l’exposition au risque sera appréciée par les juges du fond au cas par cas. Il convient donc de rester vigilant : il ne suffit pas d’envoyer ses salariés dans des pays sûrs. Il convient dans tous les cas, d’éviter de les laisser aller dans un lieu particulièrement exposé au risque (par exemple certains quartiers ou rues sensibles).

Dans cette espèce, plusieurs griefs sont reprochés à l’employeur :

1/ La salariée avait alerté à plusieurs reprises son employeur sur l’accroissement des dangers encourus par les ressortissants français à Abidjan. Elle lui avait également demandé d’organiser son rapatriement et un retour sécurisé en France. Or l’employeur n’a pas répondu aux craintes de sa salariée : il lui a opposé le lien contractuel les liant (le contrat stipulant qu’elle travaillait en Côte d’Ivoire) sans prendre en compte le danger encouru. Des juges du fond**** avaient pourtant déjà estimé que le défaut de réponse à des craintes exprimées par un salarié rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour justifier l’absence de risques particuliers à l’époque à Abidjan, la société a opposé un document consultable sur le site de l’ambassade de France en Côte d’Ivoire rappelant l’historique des évènements ayant affecté les ressortissants français depuis septembre 2002, date du début des troubles, ce document ne mentionnant aucun événement entre octobre 2003 et juin 2004 (la salariée avait été agressée en avril). Or, toute entreprise envoyant des salariés à l’étranger doit avoir conscience du danger auquel sont exposés ses salariés et non pas les ressortissants français en général : les entreprises se fiant uniquement aux « conseils aux voyageurs » du MAEE ne peuvent donc utilement justifier avoir eu pleinement conscience du danger, d’autant, que les juges du fond utilisent un faisceau d’indices (à titre d’exemple pour une agence de voyages : jurisprudence dite Jolo ou Ultra Marina***** ). L’absence d’avis ou de recommandation du MAEE ne suffit donc pas à exonérer l’entreprise de sa responsabilité****** .

2/ L’employeur n’a pris aucune mesure de protection pour prévenir un dommage « prévisible ». La Cour d’appel a estimé que la salariée n’a pas pris de risques inconsidérés au moment de l’agression, agression jugée ici « prévisible ». Le caractère prévisible du dommage a pour conséquence d’exclure la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la force majeure. Conformément à l’article L4132-5 du Code du travail, l’employeur devra donc prouver qu’il a pris les mesures et donner les instructions nécessaires pour permettre à ses salariés en cas de danger, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité, ce qui inclut un rapatriement en temps utiles. L’employeur ne pouvant se prévaloir de la forme majeure, il pourra toutefois opposer la faute de la victime. La Cour de cassation prend toutefois soin de préciser qu’en l’espèce, aucune faute ne pouvait être reprochée à la salariée. Une simple faute d’un salarié ne suffit pas à exonérer l’employeur de sa responsabilité : il faut que cette faute soit de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité.

En conclusion, quelques chiffres :

  •  66 200€ (dont 60 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) = somme à laquelle l’entreprise a été condamnée en première instance.
  •  127 500€ (dont 35 000€ de dommages et intérêts conséquences de l’agression et 90 000€ article L1226-15 du Code du travail******* ) = somme à laquelle a été condamnée l’entreprise en appel.
  •  130 000€ (condamnation en appel + 2 500€ article 700 du Code de procédure pénale) + remboursement auprès des organismes concernés des indemnités du chômage (à concurrence de six mois) perçues par la salariée suivant le jour du licenciement******** = somme totale du préjudice de l’entreprise.

Une solution moins coûteuse consisterait, pour l’employeur, à édicter des consignes de sécurité restreignant les conditions de séjour et de déplacement de ses salariés à l’étranger, même en dehors de leur temps de travail, peu importe les attaches du salarié dans le pays********* …

Monica GONCALVES
Juriste

*Ch. Sociale B, 9 juin 2010, n°09/03167
**Décision rendue le 23 avril 2009
***Cette exclusion a pour conséquence de priver le salarié des dispositions du Code de sécurité sociale qui permet notamment en cas de faute inexcusable, de bénéficier d’une indemnisation complémentaire et de la réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le titre IV. Par exemple : frais liés à l’achat d’un véhicule adapté au handicap.
****Court d’appel de Grenoble, ch. Sociale, 1 er juillet 2009 n°08/04305 société Menard : refus d’une mission en Arabie Saoudite.
*****Cour d’Appel de Paris, 23 janvier 2009 : Dans cette affaire, la Cour d’appel s’est prononcé en faveur de la responsabilité d’une agence de voyage suite à l’enlèvement de touristes français en estimant que cet événement ne pouvait être considéré comme imprévisible. La Cour d’appel s’est basée sur un faisceau d’indices incluant une mise en garde du MAEE mais également, la mise en garde édictée par l’Institut de recherche et de secours, la FCV émise par les États-Unis, le retentissement international des évènements se déroulant dans la zone, mais également, le fait que l’agence de voyage ne pouvait ignorer l’aggravation de la tension dans la région (l’un de ses employés avait été témoin de l’arrivée d’hommes armés dans l’ île à plusieurs reprises ayant obligé le personnel de l’hôtel à fuir, des échanges de tirs ayant eu lieu).
******Cour d’Appel de Paris, 9 avril 2009: « même si aucune interdiction de décollage vers la zone concernée n’avait été émise par les autorités mexicaines ou françaises », l’agence de voyage ne pouvait ignorer les risques encourus (l’évènement s’étant déjà produit l’année précédent le voyage et le risque ayant été évoqué dans la presse).
*******Disposition relative au refus de réintégrer un salarié.
********Cour d’appel de Lyon ch. Sociale B, 9 juin 2010 n°11/02072, même affaire.
********* Cour d’appel de Rennes, 31 mai 2007 : Informé des risques encourus pas ses salariés en Arabie saoudite, la société a édicté des mesures restrictives. « Considérant que du fait de ses fonctions et des consignes de 2004, le salarié ne pouvait ignorer que tenu d’une obligation de résultat de sécurité, et encourant le reproche de faute inexcusable pendant toute la durée de la mission, même en dehors du temps de travail, l’employeur devait assurer sa protection ; qu’en imposant des limites sévères à sa liberté de circulation et à sa vie privée nonobstant le fait qu’il ait de la famille et une maison sur place ce dernier ne faisait qu’imposer des restrictions appropriées à la situation, et proportionnées au but à atteindre face aux risques d’attentats ».

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