[Cet article est un compte rendu d’une conférence Web organisée par le Club des directeurs de sécurité des entreprises pour ses membres, le vendredi 17 avril 2020, à la quatrième semaine du confinement en France.]
« La méthodologie chinoise a été de limiter au maximum le choc sanitaire et donc le nombre de morts mais aussi de pouvoir retourner à une vie économique fiable le plus rapidement possible. » C’est ce qu’indique le docteur Philippe Klein, vendredi 17 avril 2020, lors d’une conférence Web organisée sous l’impulsion de Jean-Yves Oger, président de la commission « Gestion de crise & Continuité d’activité » du Club des directeurs de sécurité des entreprises, pour l’ensemble des membres du CDSE. Le médecin français dirige une clinique au sein de l’hôpital international de Wuhan (Hubei), en Chine, épicentre de l’épidémie de Coronavirus COVID-19. Ce dernier revient sur la chronologie des événements à Wuhan et détaille la stratégie déployée en Chine, du confinement jusqu’au déconfinement. Le docteur Klein livre par ailleurs son analyse sur les mesures mises en place en France dans la gestion de cette crise sanitaire. « J’ai alerté les Français et je pense que du temps a été perdu », affirme-t-il, alors que ce dernier s’est entretenu avec le président de la République mi-mars, quelques jours après l’entrée en vigueur des mesures de confinement. Il se prononce pour le tracking des porteurs du virus et de leurs contacts.
AUX ORIGINES DE LA CRISE À WUHAN
Les prémices de cette crise sanitaire mondiale apparaissent courant décembre 2019 à Wuhan. Le docteur Philippe Klein explique que l’on fait alors état « de cas de pneumonie atypique ». Néanmoins, ces cas alertent. « Nous savons très bien que l’humanité s’attend à une nouvelle pandémie et les Chinois sont très sensibles à cette question en raison de la densité de population dans le pays », précise-t-il. « Nous constatons au fil des jours que le nombre de cas augmente. Les Chinois travaillent pour finalement réussir à identifier le virus début janvier, puis son génome, pour commencer à fabriquer des tests. »
Le 20 janvier 2020, les Chinois annoncent que la transmission du virus est interhumaine. « Les choses s’accélèrent alors et notamment dans la clinique que je dirige : vers la fin du mois de janvier, on sent que le danger se rapproche de nous, avec au fil des jours, le nombre de cas qui augmente », se souvient le médecin, comparant cette phase à ce qui a été « vécu par la suite en Italie et en France au début du mois de mars ». « A ce moment-là, les Chinois décident d’agir, de prendre des mesures extraordinaires et uniques dans l’histoire de l’humanité, qui auraient dû mettre la puce à l’oreille de l’Occident : confiner 60 millions de personnes sur la province du Hubei, où se trouve la ville de Wuhan qui compte 11 millions d’habitants, et y arrêter l’économie. » L’épidémie continue toutefois de progresser, jusqu’à atteindre un plateau à la mi-février. « Le problème est que l’on ne sait pas combien de temps va durer ce plateau, quelles en seront les conséquences dans le temps sur la mortalité mais aussi sur le plan économique », relate Philippe Klein.
LE CONFINEMENT EN CHINE
Le 17 février 2020, la Chine décrète un confinement strict des individus. Le Premier ministre chinois est envoyé à Wuhan par Xi Jinping « avec un plan d’attaque, une méthode » que détaille le docteur Klein. « Cette méthode consiste à ce que l’on compte 52 jours, à partir du 17 février, pour retourner à la vie, pour que les individus puissent retourner dans l’espace public, sans risque et sans danger pour les autres, le 8 avril 2020 ». En parallèle de ce confinement strict, les médecins doivent identifier les cas positifs au coronavirus et les cas contacts. « C’est-à-dire qu’il n’y a plus d’autres diagnostics possibles que positif, contact ou négatif. Les positifs et les contacts sont sortis de la population saine de façon à arrêter l’épidémie. Avec ces deux mesures, confinement strict et caractérisation des cas positifs et cas contacts, vous arrêtez l’épidémie. En confinant strictement les gens, il n’y a plus de mouvements du virus sur le territoire national. En sortant les personnes positives et contacts, vous les identifiez, vous les isolez, vous les traitez. »
Comment sont pris en charge les cas positifs et cas contacts ? « 15% des cas positifs présentent des formes graves et vont aller à l’hôpital. Parmi eux, 5% vont être pris en charge dans un service de réanimation et nécessiteront une réanimation avec intubation, ventilation mécanique… Par ailleurs, 85% des personnes, qui présentent des formes mineures, sont restées chez elles pendant les trois premières semaines de confinement. À partir du 17 février, celles-ci ont été placées dans des stades ou dans des salles d’exposition. Les cas contacts ont quant à eux été isolés dans des hôtels. Cette phase va durer 14 à 20 jours primordiaux, car c’est la période d’incubation du virus. » Avec cette méthode, « les Chinois ont fait une sorte de reset », analyse Philippe Klein.
LE DÉCONFINEMENT À WUHAN…
Philippe Klein rapporte que parallèlement à ce confinement strict, un déconfinement lent et progressif s’organise. « Le déconfinement chinois a commencé début mars, mais il s’agit d’abord d’un déconfinement professionnel. On permet aux individus, sur la preuve d’un certificat de bonne santé, de sortir de chez eux, aller dans l’espace public et professionnel. Ainsi, par période de 15 jours, les Chinois ont réouvert les industries en fonction de leurs degrés de priorités. Le déconfinement de la population de Wuhan et du Hubei qui ne travaille pas viendra ensuite, puis la réouverture des écoles. C’est la dernière phase. »
« Ce déconfinement est accompagné d’une méthodologie, notamment au niveau des entreprises », poursuit le médecin. « Peu de temps avant le déconfinement généralisé du 8 avril, les Chinois ont obtenu, sous la forme d’un QR code sur leur téléphone, un certificat médical qui atteste que ces derniers peuvent retourner dans l’espace public sans être dangereux pour les autres personnes. Plus précisément, ce QR code atteste que soit la personne a été confinée suffisamment longtemps et qu’elle n’a pas le virus, soit elle a été malade et on lui a fait un test sérologique qui prouve qu’elle ne l’est plus, elle a donc son QR code au vert. »
… ET LE RETOUR DANS L’ENTREPRISE
Le docteur Klein détaille en outre les mesures mises en place pour le retour des collaborateurs dans leurs entreprises. « Avant d’entrer dans l’entreprise, les employés doivent présenter leur QR code, on prend leur température sur des postes installés en amont de l’emprise de la société, il y a un lavage des mains, un changement de masque, puis on rentre sur son lieu de travail. Si jamais on détecte de la température, on demande à l’employé d’aller consulter son médecin. Sur le lieu de travail, les mesures de protection, les mesures barrières sont mises en place : on ne peut pas manger à côté de son camarade à la cantine, il y a des distances de sécurité, idem au travail : il y a un encadrement. Enfin, lorsque l’on sort de l’entreprise on présente à nouveau son QR code. »
Selon lui, le tracking, joue un rôle primordial dans cette phase de déconfinement et de reprises des activités. « Grâce à l’outil informatique, toutes les personnes qui auraient été au même endroit au même moment pourraient être retrouvées si jamais l’une d’elles devenait positive par la suite. Ainsi vous allez pouvoir identifier toutes les personnes ‘contacts’ et modifier leur certificat de santé informatique en le faisant passer du vert au rouge. Un certificat de santé rouge signifie que vous avez été au contact d’un individu porteur du virus… Donc vous devez à nouveau vous confiner pendant au moins 14 jours. Au terme de cette période, si vous n’avez pas de symptômes, vous n’avez pas contracté le virus et vous pouvez donc repasser dans l’espace public. Les Chinois appliquent cela aussi dans les transports en commun, dans les supermarchés, dans tous les lieux publics en milieu fermé. »
EN FRANCE : « UN CONFINEMENT TROP MOU, SANS MÉTHODE ASSOCIÉE »
Philippe Klein s’est entretenu avec le président de la République, Emmanuel Macron, au mois de mars, quelques jours après l’entrée en vigueur des mesures de confinement. « Ce que j’ai proposé c’est : faites un reset, analyser ce que les Chinois ont fait, arriver à identifier tous les porteurs de virus, à les isoler… Si on avait pu appliquer cette méthode quand on a commencé le confinement en France, aujourd’hui (NDLR, au 17 avril), 90 % des Français seraient en mesure, sous contrôle sanitaire, de sortir de chez eux sans même un test, puisqu’ils auraient été strictement confinés pendant plus de 14 jours sans symptômes. Le problème est que l’on a décidé de mettre en route un confinement trop mou, qui ne correspond qu’aux trois premières semaines de confinement des 60 millions d’habitants de la province de Hubei. Cette méthode a amené à changer de politique à la mi-février, pour un confinement strict. Ce qui manque dans la stratégie adoptée par le gouvernement en France est une méthode associée au confinement. »
Le médecin estime que le confinement aurait dû être « beaucoup plus strict, afin qu’il n’y ait plus de mouvement du virus, de brassage de population qui entretient l’épidémie ». Et d’insister sur l’importance, selon lui, du tracking : « il faudrait que l’on soit capable, avec des outils informatiques, de cartographier de façon anonyme la position de toutes les personnes positives et de leurs contacts. C’est en maîtrisant ces personnes-là que l’on peut mener un déconfinement progressif et s’assurer d’avoir un maximum de sécurité pour que les personnes qui rentrent l’espace public ne risquent pas de mettre en danger d’autres personnes. Nous ne pourrons pas envisager de déconfinement sans rebond de l’épidémie, tant que l’on n’aura pas appliqué une méthode efficace de confinement et d’identification des sujets porteurs du virus et de leurs contacts. »
SUR LA PRISE DE TEMPÉRATURE
« Un des symptômes de cette maladie, c’est la température », rappelle le docteur Klein. Il explique que le seuil minimal de température a été placé très bas en Chine (37,3°) pour deux raisons. « On utilise des thermomètres électroniques, des pistolets, qui sont très pratiques, notamment dans le cadre d’une prise de température à l’entrée des usines. Ces thermomètres donnent généralement des températures assez basses, autour de 36,4°-36,6°. La deuxième raison c’est qu’en mettant ce seuil très bas, on préfère identifier une personne qui serait faussement malade que de passer à côté d’une personne qui serait malade », précise-t-il. Et d’ajouter : « C’est un moyen clinique de diagnostic extrêmement simple à appliquer et qui permet d’identifier des personnes qui potentiellement seraient porteuses du virus. À ce moment-là, on leur demande d’aller consulter leurs médecins, elles ne rentrent pas dans l’entreprise. »