Le transport maritime représente 90% des échanges mondiaux. Assurer la sécurité du transport maritime est donc devenu une condition essentielle au bon fonctionnement des économies. Face à cette situation, un certain nombre de normes internationales ont vu le jour, parmi lesquelles : ISPS, C-TPAT, CSI, ISO 28000. Nous avons demandé à Antoine Minot, directeur de sûreté et HSE d’APM Global Logistics (qui regroupe les marques Maersk Logistics et Damco), spécialiste de la logistique et filiale du Groupe A.P.Moller-Maersk, premier armateur mondial, de nous éclairer sur la politique de son groupe vis-à-vis de ces différentes réglementations.
L’International Ship and Port Security (ISPS), qui correspond au code international de la sûreté des navires et des installations, a été adopté en 2002 par les gouvernements occidentaux. Pouvez-vous nous dire si votre groupe respecte cette réglementation?
Le groupe A.P.Moller-Maersk la respecte pleinement. De fait, nos filiales affectées sont principalement Maersk Line, Safmarine et Maersk Tankers (pour les navires), APM Terminals (pour les terminaux) et Maersk Logistics/Damco (car ils sont clients des transporteurs maritimes ou travaillent avec). L’impact est assez important, tant pour les terminaux que pour les transporteurs maritimes car il a fallu développer des structures adaptées et des plans particuliers: tous nos navires et terminaux soumis à l’ISPS ont ainsi des agents de sûreté du navire ou de l’installation portuaire (c’est le nom officiel de la personne en charge de la sûreté), des évaluations et des plans de sûreté. Il a également fallu se doter des outils techniques allant avec cela (nouveaux systèmes d’alertes pour les navires, clôtures, CCTV, etc). Néanmoins, l’impact a été avant tout sur la mentalité de ces sociétés, au sein desquelles la sûreté tient désormais une place privilégiée. D’un point de vue financier, dans la plupart des cas, le coût est impacté au client qui doit payer une « surcharge ISPS » (quelques dollars par containers : cela va de rien du tout à une dizaine de dollars en général et dépend du port où l’on opère).
Et C-TPAT ?
Le C-TPAT fonctionne un peu différemment puisqu’il ne couvre pas seulement le secteur maritime, il couvre en fait l’ensemble de la chaîne logistique. Le principe est que si l’on veut bénéficier de facilités douanières à l’entrée aux Etats-Unis il convient d’être certifié dans ce domaine. Cela implique que tous les sites exportant vers les Etats-Unis ainsi que tous les navires ou les compagnies de transports terrestres que l’on emploie respectent un certain nombre de normes applicables du C-TPAT (elles diffèrent selon que l’on est fabricant, transporteur maritime, aérien.
Ça a eu pour Maersk un impact capital car tous les clients américains majeurs réclament que nous soyons certifiés, et perdre cette certification reviendrait à perdre ces clients car il s’agit d’une clause contractuelle. Je pense que ça a vraiment représenté le tournant pour ce qui est de la place accordée à la sûreté chez Maersk, c’est à ce moment que le rôle commercial s’est fait ressentir De fait, la société a dû s’organiser pour faire face à ça, et nous avons demandé à tous nos sites dans le monde (pour les filiales certifiées, à savoir Maersk Line et Maersk Logistics) de disposer d’une évaluation et d’un plan de sûreté (différent selon la taille et la nature de l’activité bien sûr, mais cela a permis de disposer d’un vrai panorama des risques). De plus, chaque région s’est vue dotée d’un responsable sûreté. Avec la réorganisation en cours, cela est en train de changer, et l’on ne sait pas encore comment cela va évoluer précisément.
Le pendant américain du C-TPAT, l’OEA (Opérateur Economique Agréé), fonctionne sur une base assez différente puisqu’il ne certifie pas une entreprise dans son ensemble, mais une entité légale basée en Europe. Certifier toutes nos entreprises représenterait plus de 200 dossiers à mettre en oeuvre. Du fait des avantages pour l’instant limités et de la faible demande de nos clients, notre processus de demande de certification est plus lent qu’il ne le fut pour le C-TPAT. Nous devons en outre cibler les filiales pour lesquelles cela ajoute une véritable plus-value car, d’un point de vue sécuritaire, nos sites répondent déjà pleinement aux critères établis.
Dernière norme en date, la norme ISO 28000 qui est apparu l’année dernière, a-t-elle une incidence pour votre groupe ?
La norme en matière de sûreté logistique… appliquée par quasiment personne à ma connaissance. Elle a le mérite d’exister, nous la suivons d’assez près, mais, d’un point de vue commercial, elle n’a qu’un poids tout relatif : la conséquence est que nous ne sommes pas certifiés dans ce domaine et n’envisageons pas de l´être. D’autre part, et à titre personnel, je suis assez sceptique quant à l’apport d’une telle certification à la sûreté réelle de l’entreprise dans la mesure où nous avons déjà notre propre système de management adapté à nos particularismes. Parmi les autres initiatives qui affectent la sûreté maritime il convient de mentionner toutes les réglementations douanières. C’est d’ailleurs de là que viennent tant le C-TPAT que l’OEA. On trouve notamment les règles dites des 24h. Pour simplifier, tout navire partant pour les Etats-Unis doit déclarer ce qu’il a à son bord 24 heures au moins avant que la marchandise soit chargée sur le navire. L’objectif est de laisser assez de temps aux douaniers américains pour cibler les containers qu’ils vont contrôler voire interdire d’embarquer. Vu les volumes, impossible de contrôler tout un navire, ils font donc du risk management à ce niveau. Des règles similaires commencent à apparaître sur tous les continents, y compris en Europe pour juillet 2009 normalement. L’avantage est que sous réserve de conformité avec certains standards, il est possible de bénéficier de formalités simplifiées (on peut alors donner moins d´informations aux douanes car l’on réalise certains contrôle nous-mêmes : c’est typiquement l’argument de vente du C-TPAT) et donc la marchandise peut passer sur ce qui s’appelle la « fast lane», qui est une sorte de voie rapide.
L’inconvénient majeur réside dans le fait que les entreprises de transport doivent évidemment développer des systèmes adaptés, notamment informatiques ; ce qui bien sûr représente un coût non négligeable. Néanmoins, le côté législatif et les avantages commerciaux réels dégagés par ces dispositifs sont extrêmement incitatifs… D’autre part, le non-respect de la procédure entraîne le paiement d’amendes importantes et peut également avoir pour conséquence le refus d’entrée du territoire pour la marchandise voire la suppression des avantages douaniers à la société concernée (si la négligence est démontrée). Les Etats-Unis vont également prochainement mettre en application la règle « 10+2 » qui va en fait demander 10 nouvelles données sur les marchandises aux transporteurs (voire 12 dans certains cas). Ces réglementations ne sont pas purement des règles de sûreté des entreprises, mais bien des règles de sûreté du territoire qui ont un impact direct pour le transport. Elles sont d’ailleurs suivies par les services sûreté de Maersk sur les différents continents concernés et nous travaillons en étroit partenariat avec les administrations douanières sur ces thématiques. Pour autant, le Congrès américain a voté l’année dernière une nouvelle loi, contre l’avis de plusieurs administrations américaines dont les douanes (CBP) imposant que tous les containers à destination des Etats-Unis soient scannés au port d’origine (appelé « 100% scanning »), au plus tard à compter de 2012. L’impact pour toute la chaîne logistique sera titanesque. Autant que je sache, tous les pays ou presque réclament la révision de cette loi car elle est inapplicable en l’état et paralyserait la logistique mondiale.
Nous voyons que l’arsenal réglementaire dans le domaine du maritime est très lourd. Existe-t-il d’autres normes que vous devez prendre en compte ?
Pour Maersk Logistics et Damco, les sociétés pour lesquelles je m’occupe de la sûreté et du HSE, les contraintes vont au-delà des réglementations maritimes car elles concernent l’ensemble de la chaîne logistique. Ainsi, nous sommes par exemple directement concernés par des standards de type TAPA, qui sont des initiatives volontaires permettant d’améliorer le service à notre clientèle. C’est d’ailleurs ce service à la clientèle et ce support apporté au coeur de notre activité qui nous permet aujourd’hui de justifier notre fonction. Pour reprendre l’exemple précis de TAPA, cela nous permet aujourd’hui de répondre aux demandes de certains de nos clients dans ce domaine, à savoir de leur offrir une solution de transport sécurisée selon un standard reconnu. Disposer d’une fonction sûreté dans une entreprise comme la nôtre permet d’autre part de proposer des solutions plus flexibles à nos clients ou de répondre à des attentes particulières. Un exemple précis peut être trouvé ici : une entreprise se trouvait confrontée à des problèmes récurrents de vols au cours de leur chaîne logistique, avec des conséquences extrêmement importantes dans la mesure où cela alimentait un réseau de contrefaçons. Un seul de nos entrepôts était concerné, mais dès que le problème nous fut signalé, nous proposions une évaluation en commun de ce site avec les spécialistes sûreté du client. Notre entrepôt étant parfaitement conforme à leurs attentes, ceux-ci se tournèrent vers leurs autres partenaires de la chaîne. Le transporteur routier n’ayant pas la structure sûreté en place ne pu répondre à leurs attentes. Il ne travaille désormais plus avec ce client qui était majeur pour lui dans ce pays…