A l’heure où les structures publiques qui chapeautent la recherche stratégique en France ont été réorganisées* , il nous faut en tant que think tank privés, nous interroger sur notre fonction dans ce monde du XXIème siècle. Notre activité s’exerce naturellement en direction des autorités publiques mais elle doit servir le monde de l’entreprise.
Vis-à-vis des autorités publiques notre rôle est double :
– faire de la prospective face aux évolutions futures. Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a d’ailleurs mis en avant le risque de rupture stratégique. Nous devons donc être à l’écoute des évolutions, les devancer et être pourvoyeur de solutions et de propositions que ce soit en direction des autorités françaises, des autorités européennes ou de toute structure à laquelle notre pays participe, comme l’OTAN dont on élabore aujourd’hui le nouveau concept stratégique.
– Plus largement, nous devons être vecteur de promotion d’idées et notre champ d’expression doit être la scène internationale. Notre pensée stratégique et diplomatique participe au rayonnement de la France ; elle a avant tout pour objet de promouvoir, au nom de notre pays, les idées qui permettront d’assurer la stabilité, la paix et le développement dans le monde.
Notre rôle vis-à-vis du monde de l’entreprise est sans doute plus complexe. Dans l’entreprise, le temps de l’action est multiforme. Il peut être très court, rythmé par les prises de commandes et les rapports financiers semestriels qui conditionnent le cours des bourses et l’attitude des actionnaires. Mais comme un Etat, une entreprise a besoin de se projeter dans le plus long terme pour anticiper les évolutions stratégiques. Et ces évolutions stratégiques ont des implications, sur la stratégie industrielle de ces entreprises, qui participent au développement et à la croissance de notre pays, sur les marchés export qui permettent d’accroître le solde positif de notre balance commerciale Il faut dans ce cas bien connaître la situation des pays vers lesquels on exporte, bénéficier d’analyses prospectives sur les évolutions à attendre, mais également sur les grands équilibres mondiaux et régionaux.
Les think tank ne sont ni des « madame soleil » qui fonderaient leurs analyses sur des présupposés non confirmés, ni des agences de communication chargées de relayer servilement les discours promotionnels des entreprises. Il ne faut pas les utiliser à contre-emploi. Il nous faut déterminer les problématiques du futur qui auront un impact pour les entreprises, partager ces analyses avec les entreprises pour ensuite en informer les pouvoirs publics. Cette démarche ne ressemble donc en rien à celle du lobbying.
Aujourd’hui, ce qui nous guette le plus, c’est la « pensée correcte », celle qui nous verrait répéter inlassablement les mêmes analyses car elles ne sont dérangeantes ni pour nos élites ni pour notre confort intellectuel, cette pensée correcte qui nous écarterait de notre vocation et des préoccupations du livre blanc : guetter la rupture stratégique car il existe de tels risques pour les entreprises comme pour les Etats.
Les think tank ont cet avantage notamment de n’être pas prisonnier de la réflexion à court terme. Ce qui va nous permettre, grâce à l’analyse de signaux faibles, de détecter les bouleversements stratégiques, doit nous permettre de conduire la même réflexion pour les entreprises. Quelles seront les stratégies industrielles et commerciales à conduire en France et en Europe ? En quoi le changement des équilibres mondiaux va-il affecter les conditions de production des entreprises ou un basculement dans la localisation des marchés ? Comment conduire une stratégie d’accompagnement commercial en fonction des atouts de notre politique étrangère ou de notre stratégie d’implantation culturelle ? Comment l’environnement ne relevant pas strictement du domaine du marketing ou de la stratégie industrielle de l’entreprise va-t-il influer sur son activité : contrainte ou opportunité environnementale, responsabilité sociale, règles d’éthique ou de bonne gouvernance, équilibres mondiaux énergétiques et approvisionnement en matières premières ?
Les outils que nous utilisons pour le compte des pouvoirs publics sont en réalité les mêmes que ceux que nous pouvons utiliser pour le monde de l’entreprise : mise en réseau d’une expertise pluridisciplinaire et internationale, capacité à détecter les thématiques et problématiques nouvelles, capacité à faire émerger des solutions d’avenir ou des stratégies innovantes. A chacun de réussir l’interconnexion entre ces deux mondes qui se fera au profit de tous.
* Constitution du Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégique (CSFRS) et de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM)