La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, telle qu’amendée le 11 mars 2015 par la commission des lois, consacre un devoir de vigilance de grands groupes vis-à-vis des sociétés qu’ils contrôlent et de leurs sous-traitants. La loi impose ainsi l’obligation d’identifier les risques posés par leurs activités et de prendre des mesures pour les prévenir, grâce à l’établissement d’un plan de vigilance.
Le champ d’application de la loi est étendu, puisque cette obligation concerne aussi bien les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les dommages graves aux personnes ou à l’environnement, que les risques sanitaires et ceux liés à la corruption active et passive.
En particulier, l’article premier de la proposition de loi dispose que l’obligation de vigilance de la société-mère s’applique vis-à-vis « des sociétés qu’elle contrôle, directement ou indirectement, au sens du II de l’article L. 233-16, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. »
L’impact sera certain pour les entreprises et notamment pour les directions de sûreté qui vont devoir augmenter leur capacité opérationnelle, organisationnelle et financière, tout en étant capables d’ insérer leurs actions dans la logique économique de l’entreprise.
Une difficulté pratique relative à l’identification des risques
La première difficulté résidera dans la capacité de la direction de sûreté (avec l’aide des autres directions de l’entreprise) à identifier les sous-traitants ou fournisseurs avec qui la société entretient « une relation commerciale établie », expression renvoyant à celle contenue à l’article L. 442-6 du code de commerce. Cette expression a été substituée à celle d’ « influence déterminante » retenue dans une version antérieure de la proposition de loi.
La jurisprudence a pu définir « une relation commerciale établie » comme une relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir.
Or, en pratique, l’interprétation jurisprudentielle peut s’avérer difficile à mettre en œuvre.
En effet, la politique de sélection des sous-traitants va devoir prendre en compte de nouveaux critères de sécurité et de respect des conditions de travail, et de l’environnement.
Par ailleurs, la direction de sûreté ne pourra pas débuter l’analyse des risques avant que les autres directions ne lui communiquent la liste de sous-traitants et fournisseurs avec lesquels il existe une « relation commerciale établie ». Or, cette notion est abstraite : quand peut-on considérer une relation commerciale comme « établie » ? Quels seront les critères de sélection des sous-traitants et fournisseurs : la taille, les conditions d’achat, la santé financière, la maitrise technologique, les certifications, labels, etc. ?
Un impact opérationnel
Sur la base des informations obtenues des autres directions de l’entreprise, la direction de sûreté devra identifier les risques liés aux activités de ces fournisseurs et sous-traitants. Cette obligation aura un impact opérationnel certain pour la direction de sûreté. En effet, cela présupposera nécessairement qu’elle soit capable de mener une enquête de terrain en amont de la conclusion du contrat ou de l’exécution pratique de la relation commerciale. Sur place, elle sera associée à la vérification des conditions de travail des salariés, mais aussi à l’état de l’usine, aussi bien de ses locaux que de ses équipements et ce, afin de préconiser des mesures de vigilance adaptées. S’agissant des obligations de vigilance liées à l’environnement, il conviendra non seulement pour les membres de la mission d’enquête de connaître l’environnement adjacent à l’usine concernée, mais aussi la teneur des produits et matériaux fabriqués et utilisés.
Outre la nécessité de procéder à ces enquêtes de terrain sur une durée de plusieurs jours et dans une multitude d’endroits différents – la plupart des sociétés ayant recours à des sous-traitants dans de nombreux pays – la direction de sûreté sera confrontée au besoin de déployer une expertise pluridisciplinaire, afin d’évaluer correctement les risques.
Un impact organisationnel
Une fois les risques évalués, la direction de sûreté sera associée à la mise en place des mesures nécessaires à la garantie de la non réalisation desdits risques ainsi qu’à la rédaction du plan de vigilance. L’effectivité du plan passe par la conduite d’audits spontanés, internes ou externes, pour s’assurer que les fournisseurs et sous-traitants respectent leurs obligations. Bien que ces audits préalables soient pratiqués par de nombreuses entreprises, qui conditionnent leurs relations contractuelles à la signature d’un code de bonne conduite, aucune sanction n’est prévue en cas de méconnaissance de ses dispositions. Or aujourd’hui, la nouvelle obligation de vigilance implique que le non-respect de ces mesures soit détecté et sanctionné.
Ainsi, la réactivité de la direction sûreté devra être assurée, ce qui suppose des moyens matériels et humains accrus et donc un budget plus important.
Un impact financier
La direction de sûreté va donc être confrontée à un besoin croissant d’augmentation de son budget, lui permettant de faire face à ses besoins en mobilité et en personnel.
Le directeur de sûreté pourra être confronté à une perception négative du plan de vigilance, au regard de la rentabilité de l’entreprise. Par exemple, la capacité d’un groupe de téléphonie à sécuriser ses installations d’extraction de coltan dans une mine congolaise, en s’assurant de la mise en place de dispositifs de sécurité dans la mine ou l’interdiction du travail des enfants, lui permettra d’obtenir une meilleure récolte du matériau dans un délai de livraison amélioré.
En conclusion, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre devrait avoir pour conséquence d’accroître le pouvoir de la direction de sûreté afin de lui permettre de protéger l’entreprise et ses dirigeants et éviter notamment l’engagement de la responsabilité civile de la société en vertu de l’article 2 de la proposition de loi.