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Le syndrome du Titanic

Écrit par MARCEL Julien

23 mai 2012

S’il y a une chose que la crise actuelle a bien révélé, c’est que les Etats ne sont plus capables de résoudre les problèmes globaux posés aux entreprises. Un lien historique s’est rompu entre deux mondes à la dérive qui ne parlent plus tout à fait le même langage : celui de l’économie réelle et celui de l’utopie politique (savamment ?) entretenue. Le dernier débat présidentiel n’a que peu abordé ce sujet dont on reparlera pourtant très vite tant il s’impose à tous.
Les politiques ont des vues électoralistes limitées à leurs frontières et aux demandes irréalistes de populations assistées et craintives quand le dur jeu de l’économie se déroule sur un terrain autrement plus vaste et dangereux pour lequel l’Europe est mal préparée. Il n’est pas surprenant dès lors que les entreprises, soumises à la loi impitoyable et internationale des marchés et capitaux, commencent à se poser des questions sur leurs attaches nationales, voire européennes. Qui peut d’ailleurs affirmer que nos champions hexagonaux ne partiront pas un jour sous la pression fiscale pour trouver des cieux plus accommodants ? Le risque est peut-être moindre qu’on veut bien le dire. Mais le simple fait que l’on pose la question dit assez l’amenuisement du sentiment d’appartenance entre les entreprises et leur pays d’origine.

Bien sûr les entreprises « parlent » avec leurs gouvernements respectifs, partout où elles sont installées. Mais c’est souvent pour mieux les utiliser et les faire plier. La soft Law des multinationales est en train de s’imposer naturellement face à des Etats en quasi-faillite. L’Etat pourrait admettre humblement cette situation et en tirer profit pour renouer un dialogue enlisé avec les entreprises. Tenter de leur simplifier la vie. De faciliter des contacts privilégiés avec la puissance publique. Multiplier les fenêtres public/privé pour vivifier le terrain industriel. Hélas ! Une vieille méfiance envers l’économie ouverte a tendance à produire l’effet inverse. Les deux mondes restent séparés et s’ignorent au moment où ils devraient œuvrer ensemble.

Face à ce constat il faut faire preuve de réalisme. Soit les Etats, et la France est évidemment tentée par cette voie historique chez elle, vont se suicider en niant l’économie de marché pour se recentrer sur eux-mêmes et leur pouvoir « régalien » (soit-dit en passant, la France « régalienne » a toujours été en faillite…) ; soit ils vont de plus en plus se désintéresser des entreprises pour se consacrer à des électeurs de troisième type, plus préoccupés de sécurité, d’art et d’assistanat que d’autre chose. Les deux ensemble n’étant pas exclus. Dans les deux cas il ne faut guère se faire d’illusions : l’attitude officielle des pouvoirs publics vis-à-vis de l’entreprise restera ambivalente : d’un côté on dira la soutenir pour profiter de sa richesse et des beaux postes qu’on s’y réserve ici et là ; de l’autre on la stigmatisera, par l’obéissance servile due au régalien restauré dans le premier cas, par l’indifférence agressive dans le second. Un premier défi attend le nouveau gouvernement sur ce point précis.

Pour élaborer sa stratégie, le CDSE doit donc tenir compte de cette vérité: le fossé entre entreprises et politiques ne va pas se combler, il va s’agrandir. Le monde économique ressemble à un vaste océan où des bateaux-entreprises voguent en tentant d’éviter les icebergs que sont devenus les Etats, cramponnés à leurs prérogatives mais en réalité appauvris, en quête de ressources. Etats souvent de plus en plus instables précisément là où des opportunités de marché se présentent.
Comment le CDSE peut-il venir en aide à ses adhérents dans ce contexte? Je vois au moins trois pistes qui me paraissent essentielles.

La première est de comprendre que la faillite des Etats a pour conséquence de les rendre plus que jamais dépendants du tissu économique pour renflouer les caisses vides et ainsi sauver leur légitimité qui restera indispensable. La vraie révolution est là : le pouvoir, sous la pression des dettes, a quelque peu changé de mains. Les entreprises sont devenues une planche de salut pour l’Etat, même si elles en sont mal aimées, grâce à leur capacité à créer de la richesse. Il convient en conséquence de se positionner non plus en solliciteur poli et déférent des services publics mais d’exiger au contraire d’en recevoir audience, aide et écoute pour accroître la compétitivité de nos entreprises à travers le monde grâce à un renforcement de leur sûreté. Et nous ne parlons pas ici que des seules grandes industries où l’Etat a des intérêts directs mais de tout le tissu industriel. Ce renversement des priorités devient une cause nationale pour assurer la survie d’institutions menacées par les populismes de toutes sortes. L’arrogance traditionnelle des grands corps n’est plus de mise. C’est elle qui nous a conduits où nous sommes aujourd’hui sur le plan industriel. Des dizaines de fois nous avons demandé à M. le directeur de la DCRI de venir au CDSE. Il n’en a jamais trouvé le temps. Peut-être ne l’avait-il pas. N’en faisons pas une affaire de personne mais disons que ce n’est pas normal et que c’est indubitablement le signe qu’on s’est trompé de sujet pendant les cinq dernières années. Oh, certes, si l’Etat régalien comme il faut le craindre, fait un grand retour en force, il faudra peut être accepter cette forme d’indifférence. Mais tant que ce n’est pas le cas, tant que l’économie restera ouverte, il faut acter par des gestes forts et des exigences réelles le renversement des priorités. Se faire entendre de l’opinion publique, communiquer sur nos enjeux, voilà l’avenir du CDSE. Nous avons un peu avancé sur cette voie, il faut oser encore davantage et accélérer.

La deuxième piste est liée à l’effort de clarification fait par le CDSE et son président Alain Juillet sur les termes sécurité et sûreté. Redisons une nouvelle fois la différence pour fixer les idées. La sécurité a une optique restrictive. Elle vise à garantir un risque en tendant plus ou moins vers le 100%. Elle s’applique donc à toutes sortes de domaines repérés par l’analyse des risques. Elle implique des mesures strictes, des procédures rigides, le tout au détriment de la liberté et de la capacité d’initiatives. A l’inverse la sûreté est d’essence permissive. Elle favorise la prise de risques. Parce qu’on aura précisément bien su choisir les sécurités essentielles à faire respecter sans les étendre inutilement, on sauvegardera et on favorisera la liberté de prendre des risques mesurés. Pour le dire autrement, la sûreté est l’art indispensable à l’élan vital de la prise de risques, raisonnée par la sécurité. D’où son importance en économie où elle est éminemment politique et stratégique car intimement liée à la compétitivité. L’hésitation entre sécurité et sûreté, sempiternelle question, est donc compréhensible car nous parlons bien du même champ, celui des risques. Ce qu’il faut voir, c’est que la différence est moins affaire de contenu que de perspective dynamique. Pour aussi ténue qu’elle soit, elle est essentielle. D’elle découle en effet deux rôles aussi respectables l’un que l’autre, complémentaires, mais distincts. Le premier, celui de la sécurité, se fonde sur des techniques que l’on voudra scientifiques pour une efficacité maximale. Le second se fonde sur des analyses et des conjonctures où la stratégie et la politique deviennent primordiales, avec pour guide une éthique sans faille pour éviter des affaires Renault. Pourquoi ce rappel ? Pour dire que la vocation du CDSE est justement de devenir la référence en termes de sûreté et non de sécurité d’entreprise. Ce qui imposera sans doute qu’on change de nom un jour… L’effort fait par le Club depuis sa refondation sur la réflexion stratégique, la maîtrise des sécurités, la vision globale que l’on doit en avoir, les contacts publics/privés, a démontré son positionnement et son succès sur ce créneau où il est d’ailleurs le seul. Nous devons donc poursuivre dans cette voie avec détermination. Nous avons les talents, le savoir et la légitimité de défendre toutes les entreprises, derniers remparts contre la faillite. Pour autant le CDSE se doit d’avoir des liens très étroits avec tous les clubs existants représentant une sécurité spécifique : informatique, physique… Pour cela il suffit d’admettre l’idée de l’adhésion quasi-automatique et gratuite de tout président de club de sécurité d’importance qui en ferait la demande et qui pourrait devenir observateur ou invité d’honneur. Ces clubs ne sont pas les concurrents du CDSE, ils en sont complémentaires. Fort de cette légitimité, le CDSE pourra dynamiser ses commissions. Enfin le développement du Club et sa représentativité imposeront sans doute de changer les statuts pour le dynamiser encore plus.

La troisième idée-force est de travailler dès maintenant à un Osac à l’européenne dont le CDSE serait le moteur. Pourquoi cette urgence ? Parce que le salut de l’économie européenne, nous le disions plus haut, n’est plus dans les Etats, en partie ruinés et grandement inopérants, réduits même parfois à utiliser des forces paramilitaires privées en dehors de leurs frontières. Il est temps de voir que les entreprises européennes ont plus intérêt à faire jouer leurs convergences que leurs différences dans un monde brutal où les concurrents ne feront aucun cadeau aux anciennes puissances que nous ne sommes plus et où les dangers guettent partout, du Niger au Pakistan. Groupés ensemble, les pays européens passent en tête de la compétition économique mondiale et peuvent mieux défendre leurs intérêts. L’Osac est une organisation américaine qui rassemble, dans tout pays où se trouvent des entreprises US, les chefs de sûreté des entreprises présentes autour des diplomates de l’ambassade américaine pour mettre en commun avec ceux-ci les informations utiles au développement et à la sécurité de tous. Cette organisation a démontré son efficacité et permet de saisir des opportunités de développements en maîtrisant mieux l’ensemble des risques spécifiques. Face à cela, l’Europe part en ordre dispersé, chaque pays jouant sa carte au gré de l’importance de ses ambassades ou de des anciennes zones d’influence. Le CDSE doit penser à sa vocation européenne sans hésiter. C’est ainsi que nous défendrons encore mieux l’intérêt de nos adhérents. Plusieurs voies sont possibles pour y arriver : accepter des membres étrangers que nous démarcherons systématiquement ou encore fédérer d’autres clubs autour de nous pour travailler ensemble cette idée d’un Osac à l’européenne. Les solutions pour y arriver passent peut-être d’ailleurs par la création d’une fondation européenne CDSE, irriguée par les grandes entreprises, pour alimenter la réflexion. Elles passent aussi à coup sûr par une saisine de la Commission européenne et le recueil de son soutien dans ce projet politique d’avenir qui ouvrirait la porte à d’autres formes de collaborations entre ambassades. Pourquoi ne pas en effet imaginer, dans quelques décennies, des ambassades européennes et non plus nationales pour réduire nos déficits respectifs ! En attendant ce qui reste aujourd’hui une utopie mais viendra certainement, il convient d’anticiper le mouvement et de se placer sur ce terrain de réflexion.

Souhaitons bon vent au CDSE. Il a pris un essor remarquable en peu de temps grâce au dynamisme de ses membres et de sa direction. Tout l’esprit de ce texte est de l’encourager à aller encore plus de l’avant car, ne l’oublions, le Titanic aurait sans doute évité l’iceberg s’il avait tenu sa vitesse. C’est en ralentissant qu’il s’est interdit de manœuvrer. En imposant notre sujet et notre stratégie nous sauverons peut-être, certes très indirectement, des Etats qui doivent, malgré tout, garder la main sur la Soft Law d’entreprises parfois trop soucieuses de profits à tout prix. D’où l’intérêt qu’ont ces Etats à enfin prendre en compte les soucis de leurs entreprises en matière de sûreté. Il était sans doute utile de le rappeler à l’aube d’un nouveau mandat présidentiel.

Hervé Pierre – Euronethic – http://www.euronethic.com/

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