Aux termes d’une décision en date du 30 novembre 2010, la Cour de cassation a jugé que le non-respect par les entreprises utilisatrices de travail temporaire de leurs obligations en matière de prévention des risques cause en lui-même un préjudice au salarié, indépendamment de toute atteinte à son intégrité physique. Dès lors, leur responsabilité doit être retenue pour manquement à leur obligation de sécurité et de résultat, obligation dont elles doivent assurer l’effectivité.
En l’espèce, un salarié d’une entreprise de travail temporaire, a été employé par une entreprise utilisatrice en qualité de soudeur inox. Ayant été contaminé par le chrome, il a été déclaré inapte à son poste de travail. Considérant que cette inaptitude était due aux fautes commises par l’entreprise utilisatrice, qui ne lui aurait pas fourni dès le début de sa mission un masque à adduction d’air, comme cela était pourtant prévu, le salarié a saisi le Conseil des Prud’hommes puis la Cour d’appel de Poitiers afin que les entreprises de travail temporaire et utilisatrice soient solidairement condamnées à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Aux termes d’une décision en date du 29 avril 2008, la Cour d’appel de Poitiers a rejeté la demande du salarié au motif que « non seulement la preuve n’est pas rapportée de manquements de la société Barreault Lafon en matière d’hygiène et de sécurité, mais la réalité même d’une contamination par le chrome n’est pas établie. Dès lors l’inaptitude, prononcée à titre préventif selon l’expert et uniquement en raison des résultats des deux dosages de chrome, ne peut être imputée à une faute quelconque de l’employeur ou de l’entreprise utilisatrice ».
Cette décision a toutefois été cassée par la Cour de cassation qui, après avoir rappelé, au visa des articles L.4121-1 et L.1251.21 du Code du travail, que « l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice sont tenues, à l’égard des salariés mis à disposition, d’une obligation de sécurité de résultat dont elles doivent assurer l’effectivité, chacune au regard des obligations que les textes mettent à leur charge en matière de prévention des risques » a considéré que « la seule circonstance qu’un tel masque n’ait pas été fourni à M. Roye dès le début de sa mission constituait un manquement de l’entreprise utilisatrice à son obligation de sécurité de résultat causant nécessairement un préjudice au salarié » (Soc., 30 novembre 2010, pourvoi n° 08-10.390).
Si cette solution mérite de retenir l’attention des entreprises qui doivent être très rigoureuses dans la mise en place de leurs mesures de prévention des risques, elle semble toutefois s’inscrire dans le droit fil de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation tendant, comme l’a reconnu Monsieur SARGOS, à « l’émancipation » de l’obligation de sécurité et de résultat de l’employeur (« L’émancipation de l’obligation de sécurité de résultat et l’exigence d’effectivité du droit », P. Sargos, Semaine Juridique Sociale n° 14, 4 avril 2006, n° 1278).
En effet, c’est tout d’abord en matière de maladie professionnelle (Soc., 28 février 2002, RJS 2002, n° 81) puis d’accident du travail (Soc., 11 avril 2002, Bull. civ. V, n° 127) que la Chambre sociale de la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel « en vertu du contrat de travail le liant au salarié, l’employeur est tenu envers lui d’une obligation de sécurité de résultat » considérant « que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».
Toutefois, elle a par la suite étendu le champ d’application de cette obligation en considérant que, même en l’absence de toute maladie professionnelle ou accident du travail, un salarié était recevable à invoquer un manquement de l’employeur à cette obligation, développant ainsi une véritable « politique jurisprudentielle de prévention des risques » (« Obligation de sécurité de l’employeur et harcèlement « horizontal » : vers une obligation de résultat absolu », J. Mouly, JCPG, n° 12, 22 mars 2010, n° 321).
Ainsi, en matière d’atteinte à l’intégrité physique du salarié, elle a, après avoir rappelé le principe de l’obligation de sécurité de résultat auquel est tenu l’employeur, cassé un arrêt qui avait débouté un salarié de sa demande de requalification de sa prise d’acte de rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse aux motifs « qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés notamment de constatations relatives à l’insuffisance du taux de nicotine trouvé dans le sang du salarié exposé aux fumées de cigarettes, alors qu’elle avait constaté que la société ne respectait pas les dispositions du code de la santé publique sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics concernant les salariés, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Soc., 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-65.103 ; voir aussi Soc., 29 juin 2005, pourvoi n° 03-44.412).
La Cour de cassation a dès lors reconnu que la responsabilité de l’employeur devait être retenue dans la mesure où il avait manqué à son obligation de sécurité et de résultat, et ce alors même qu’au jour de cette décision, cette faute n’avait entraîné aucune altération de la santé du salarié.
Par ailleurs, en matière de harcèlement moral et de santé mentale du salarié, la Chambre sociale a considéré que l’employeur manque à son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales ou de harcèlement, exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements (Soc., 3 février 2010, pourvois n° 08-40.144 et 08-44.019) ou encore lorsqu’un salarié se plaint d’un simple « sentiment d’insécurité », en considérant que « les mesures prises par l’employeur pour assurer la sécurité de la salariée sur les lieux de travail n’étaient pas suffisantes », et ce pourtant en l’absence de toute atteinte objective à la sécurité du salarié (Soc., 6 octobre 2010, pourvoi n° 08-45.609).
Par l’arrêt en date du 30 novembre 2010, la Cour de cassation confirme donc la vision élargie qu’elle a de l’obligation de sécurité et de résultat de l’employeur, dès lors qu’il semble ressortir de sa jurisprudence que la violation de cette obligation « n’impose pas la preuve d’une faute patronale, mais la réalisation d’un risque lequel ne se superpose pas toujours avec une pathologie » (« Risques psychosociaux et méthodes de gestion de l’entreprise », D. Asquinazi-Bailleux, Semaine Juridique Sociale, n° 40, 5 octobre 2010, n° 1393).
A ce titre, cette décision est à rapprocher de celle rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 11 mai 2010, qui, si elle ne se place pas sur le terrain de l’obligation de sécurité de résultat, a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un établissement ouvrant droit à la préretraite amiante un préjudice d’anxiété lié au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, et ce alors même qu’aucune atteinte physique à leur santé ne s’est déclarée (Soc., 11 mai 2010, pourvoi n° 09-42.241).
Les entreprises doivent donc être particulièrement vigilantes et assurer l’effectivité des mesures de prévention des risques qu’elles mettent en place, à défaut de quoi leur responsabilité pourrait être engagée et ce en l’absence de toute maladie professionnelle ou accident du travail, mais surtout de toute atteinte actuelle à l’intégrité physique du salarié. A l’évidence, cette politique ne sera efficace que si l’exemple est donné par la Direction Générale, en s’appuyant de manière transversale sur les fonctions supports, à savoir : Direction Juridique, Direction Sécurité-Sûreté, Direction des ressources humaines (pour la partie formation) et Risk Manager (s’il existe).